15 Avril 2016
Comme la guerre ne connut aucune trêve
La paix fut impensable, même en rêve
Le soldat en tira les conséquences
Touché par balle, il tira sa révérence.
L’empereur regretta l’issue mortelle
Mais la guerre continua de plus belle
Ce héros qu’on jeta dans une fosse
Fut fauché par une mort plutôt précoce.
L’été baignait les tombes de sa lumière
Le soldat dormait en paix au cimetière
Soudain pointa la commission sanitaire
Mandatée par les forces militaires.
La commission creusa la terre
Sortit le soldat de son repaire
À la guerre comme à la guerre
C’est ce que disent les experts.
Le corps fut sondé par un toubib perspicace
De la dépouille il ne resta qu'une carcasse
Le médecin déclara le soldat apte au combat
Son avis ne pouvait souffrir aucun débat.
On emmena le soldat au champ d’honneur
La nuit était habillée de la plus des couleurs.
Lorsqu'on enlève son lourd casque en métal
On pouvait voir les étoiles de la terre natale.
Ils injectèrent dans le corps inerte une liqueur
Pour lui redonner sa force virile et sa vigueur
Deux infirmières lui servirent de béquilles
On lui offrit même les caresses d'une jolie fille.
Comme le soldat puait comme du crottin
On fit appel à un vieux curé, un peu mâtin
Il encensa le corps puant avec ardeur
Pour le débarrasser des ses odeurs
Entendant le bruit des fanfares
Et voyant flotter les étendards
Les pieds du soldat se dégourdirent
Et fut de nouveau au service de l’Empire.
Le soldat soutenu par deux soignants
Offrit aux yeux un spectacle fort poignant
Un guerrier doit rester toujours debout
Et continuer son combat jusqu’au bout.
La vieille chemise du soldat réanimé
Prit les couleurs de la partie bien-aimée
Le drapeau qui couvrit la pourriture
Donna au guerrier une belle allure.
Un officier arborant un beau costume
Fier de son armée et ses coutumes
Accueillit le combattant revenant
Lui promettant un soutien permanent.
Le bataillon défila dans le rues de la ville
Applaudi par une dense foule de civils
Le soldat entama une marche hésitante
Aussi fragile que la neige fondante.
Les chats et les chiens criaient de rage
Même les vents et les courants des rivages:
Nous ne voulons pas devenir des Gaulois
Car cette race abjecte est sans foi ni loi.
En traversant les champs et les villages
Des paysannes leur crièrent courage
Les arbres s’inclinaient et la lune souriait
On lançait des hourras et on priait.
Accompagnant le roulement des tambours
Femmes, chiens et curés de la cour
Criaient aux guerriers leur amour
Le soldat claudiquant nuit et jour
Et parfois en marchant dans les villages
Le soldat fut aussi présent qu’un mirage
Entouré d’une foule en délire
Il n’avait absolument rien à dire.
Autour de lui, c’était la joie et la danse
Mais personne ne notait sa présence.
Seules les étoiles pouvaient le voir
Même lorsque le ciel était tout noir.
Les étoiles parfois brillent par leur absence
Surtout quand l’aube apporte la délivrance.
Le soldat qui apprit sa leçon par cœur
Tombe encore au champ d’honneur.
(Traduit librement de l'allemand par Omar K.)
Texte original :
http://www.totentanz-online.de/medien/musik/brecht.php