10 Mai 2016
" Genève accueille ce week-end un important congrès sur le soufisme. C’est l’occasion de découvrir une spiritualité moderne et en pleine expansion. " (Le Temps, quotidien suisse, 7 octobre 2010) *
Faire sortir un soufi du silence est un exercice ardu. Pourtant je me suis attelé à la tâche :
O. K. : Votre définition du soufisme ?
Soufi : Primo, je n’aime pas le vouvoiement : tous les êtres humains sont égaux devant Dieu. Secundo, je ne peux définir le soufisme. Mais je peux t’aider à le cerner en citant un des nos maîtres: " Être soufi, c’est s’abandonner entre les mains de Dieu, comme le mort s’abandonne entre les mains de son laveur. "
O. K. : Le mot clé du soufisme ?
S. : "Riadha" (رياضة). Dans la langue arabe, ce mot a pris le sens de "sport" aujourd’hui. Le verbe arabe "rawadha" ( روّض) signifie "dompter". Il s’agit d’un exercice continu pour "dompter" notre corps/esprit. Le soufisme est une sorte de sport où l’exercice corporel ne se sépare jamais de l’exercice spirituel. Le but ultime est de se se détacher de l’éphémère pour rejoindre l’Éternel.
O. K. : Un soufi est-il détaché de la réalité matérielle du monde ?
S. : Un soufi est un corps aussi. Il travaille, mange et fait l’amour, comme les autres. Mais ni le travail, ni la bonne chère, ni le sexe ne donnent un sens à la vie. Un être incapable de dépasser ces besoins "basiques" est un être pauvre quelle que soit sa richesse matérielle.
O. K. : Y a-t-il des degrés dans le soufisme ?
S. : Oui, exactement comme chez les sportifs. Un soufi a dit: " إنّ المُتَلَفِّتَ لا يَـصِل " (Celui qui tourne la tête à droite et à gauche, n’atteindra jamais le but). Bref, le meilleur sportif et le meilleur soufi sont ceux qui s’exercent au maximum et sont constamment concentrés sur la but à atteindre.
O. K. : Il est possible d’atteindre le but ?
S. : Jamais ! Prends cette suite mathématique comme exemple: 1/2 + 1/4 + 1/8 + 1/16 + 1/32 + 1/64…. Cette suite tendra vers 1 mais ne l’atteindra jamais. C’est la même chose chez les soufis : il tendent vers le Un (Dieu) mais ne l’atteignent jamais.
O. K. : J’ai trouvé une certaine affinité entre soufisme et bouddhisme. Pourtant Dieu n’existe pas chez les bouddhistes. Comment expliques-tu cette contradiction ?
S. : La contradiction est seulement apparente. Les bouddhistes et les soufis empruntent des chemins différents pour s’acheminer vers le même but. Les bouddhistes l’appellent Niravana, les soufis l’appellent Dieu.
O. K. : Comment les soufis affrontent-ils la mort ?
S. : Les soufis n’affrontent pas la mort. Ils l’accueillent comme un jeune marié accueille sa douce moitié le jour des noces. Notre maître Al-Hallaj a dansé de joie le jour où on lui a annoncé sa condamnation à mort. Il avait hâte de retrouver le Bien-Aimé.
O. K. : Mais les kamikazes ont aussi hâte de mourir !
S. : Al-Hallaj n’était pas un kamikaze. Il ne cherchait pas à tuer qui que ce soit. Les soufis ne cherchent ni les vierges de l’au-delà ni les ruisseaux de vin du Paradis. La grande soufie Rabiâa Al-Âadaouia a dit, en s’adressant à Dieu: " Ô Dieu, si je t’adore par crainte de ton enfer, alors brûle-moi par ses flammes. Et si je t’adore pour accéder au Paradis, alors prive-moi des ton Jardin Éternel. "
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*) http://www.letemps.ch/Page/Uuid/6f33c33a-d189-11df-ad1d-4e54f766b6a2/Le_r%C3%A9veil_du_soufisme