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Journal d'un nomade

Restless, shifting, fugacious as time itself is a certain vast bulk of the population of the red brick district of the lower West Side. Homeless, they have a hundred homes. They flit from furnished room to furnished room, transients forever - transients in abode, transients in heart and mind. They sing "Home, Sweet Home" in ragtime; they carry their lares et penates in a bandbox; their vine is entwined about a picture hat; a rubber plant is their fig tree. (O. Henry)

Lu dans le Canard

Au pays des djinns-tonic

« Boire et déboires en terre d’abstinence » (Hoëbeke), de Lawrence Osborne, se déguste frais, à l’ombre et sans modération.

La guerre des civilisations se joue au fond de la bouteille, entre partisans du sec et du liquide. Ecrivain baladeur, Lawrence Osborne – un des plus fameux romanciers britanniques d’aujourd’hui –, a quelques litres au compteur ; Son carnet de voyage est le fruit d’un pari intrépide : « traverser le monde islamique en buvant, afin de voir si je suis capable de me sevrer complètement et de me guérir d’un accès de beuveries excessives ». L’homme ne se réveille pas chaque matin les mains tremblantes, son heure magique sonne vers 18 heures, quand son gin tonic « arrive dans une sorte de musique de glaçons et [que] son arôme chatouille le nez comme une odeur d’herbe givrée ».

Pour ce rituel, il faut « une église », « un sanctuaire », un bar, en somme. La méditation peut commencer : « Le buveur est un maître dionysiaque, un danseur qui reste assis sans bouger, un homme qui se moque. Il n’a pas besoin de votre sérieux, ni de votre estime. » Honneur à la douce gueule de bois ! « Elle nous pousse à l’introspection et à la clarté. L’effet qui suit une modeste cuite nettoie l’intellect. »

Ce yoga de comptoir peut-il se pratiquer en terre musulmane ? C’est le pari du voyageur : observer « comment vivent ceux qui ne boivent pas d’alcool. Peut-être ont-ils quelques choses à m’apprendre ». C’est ainsi qu’Osborne d’Arabie débarque au Liban compliqué, où l’alcool est légal, apprécié, et la vigne cultivée. « C’est un aperçu de ce que pourraient être les Arabes, s’ils n’y avait pas l’islam », tel est Beyrouth, « la seule ville où le bar et le muezzin ne parviennent pas à se dominer l’un l’autre ». A Oman, c’est une autre histoire. Avec une compagne en manque de champagne, notre guide fait l’expérience d’une Saint-Sylvestre sans alcool : « Ce n’était pas si mal. C’était même préférable. Nous regagnâmes notre hôtel dans le plus grand calme. »

La conversion ne durera pas, même au Pakistan, un des régimes réputés les plus « secs » du monde : « On éprouve, c’est indéniable, un frisson particulier à l’idée de s’arsouiller à Islamabad. » Mais, en cherchant, on trouve : un bar semi-clandestin, une fête très arrosée dans une villa cossue. En fait, « le Pakistan nage dans l’alcool, même si personne ne peut se permettre de le reconnaître ». L’hypocrisie règne tout autant en Arabie saoudite, dont Johnny est le prophète caché : « L’appétit des Saoudiens pour l’alcool est célèbre dans tout le Moyen-Orient. » Leur brutalité aussi, car « ils n’ont pas appris à maîtriser leurs désirs. L’alcool, c’est le désir, surtout le whisky, qui en est l’expression suprême ».

Cap, donc, sur la Mecque du scotch, située sur l’île écossaise d’Islay, où Osborne fait pèlerinage car « on ne peut pas comprendre un breuvage sans voir l’endroit d’où il vient ». Il y savoure un whisky profond, « qui met le buveur en relation sérieuse avec sa propre morbidité ». A la fin de ce récit délicieux, baigné d’une ironie et d’un détachement tout britanniques, on sait qui a perdu la guerre. L’islam est décidément soluble dans l’alcool, perverti par des pipelines souterrains qui l’arrosent de vin, de bière et de whisky.

Car l’alcool est grand et Osborne est son prophète !

Frédéric Pagès

243 p., 20 €. Traduction goûteuse de l’anglais par Béatrice Vierne.

(Source : Le Canard enchaîné N° 4983 - mercredi 27 avril 2016; page 6)

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